Lundi, 1er mars 2010, pour tous les immigrés, ceux qui s’identifient comme tels, les enfants d’immigrés, les petits-enfants d’immigrés, en somme tous ceux qui s’associent de près ou de loin à l’histoire de l’immigration, ce devait être shabbat. Une journée ? noire ? : pas de travail, pas d’achats dans les magasins, un day off total, à l’instar du mouvement de protestation latino-américain de 2006 contre la politique d’immigration des Etats-Unis.
Pour cette première ? Journée sans immigrés ?, des centaines de personnes se sont mobilisées devant les mairies de plusieurs villes de France. A Paris, c’est devant l’H?tel-de-Ville qu’ont afflué des centaines de personnes (500 selon les organisateurs) de divers horizons, rassemblés autour d’une même idée : le refus de la stigmatisation de l’immigration. ? Le but est avant tout de démontrer l’apport économique de l’immigration ?, expliquent Nadir Dendoune et Nadia Lamarkbi, deux des organisateurs du mouvement ? 24 heures sans nous ?.
Dès 12 heures, le rassemblement commence à prendre forme, une grande banderole tenue par de jeunes Italiens qui brandissent également des portraits d’immigrés célèbres donne le ton. La manifestation prend des airs de sitting étudiant jusqu’à l’arrivée en fanfare d’une foule scandant des slogans de solidarité pour les sans-papiers. Etudiants, cadres, responsables politiques, membres associatifs, ils sont venus marteler leur ? ras le bol ?, comme Thibault et Sarah, deux étudiants agés de 23 ans dont les parents sont respectivement originaires d’Espagne et de Hongrie.
? Nous sommes venus exprimer notre solidarité envers les populations immigrées, protester contre les expulsions, contre cette politique de stigmatisation mais également contre le populisme électoral ?, confie Thibault entre deux slogans pro-sans-papiers. Un stand dédié à la vente de t-shirts ? 24 heures sans nous ? rencontre beaucoup de succès, les gens qui l’achètent le revêtent immédiatement. Sur des notes de musique orientale jouée au rythme de l’oud, certains dégustent un verre de thé pendant que d’autres débattent sur les solutions possibles pour une meilleure image de l’immigration.
Car si ces personnes sont présentes aujourd’hui, c’est pour elles en raison d’un triste constat : celui des dérapages verbaux des politiques. C’est en effet à la suite des propos tenus par Brice Hortefeux au sujet de fameux Auvergnats que le collectif a décidé de mettre en place cette journée. La date choisie, le 1er mars, n’est pas anodine : ? Elle marque l’anniversaire de l’entrée en vigueur du CESEDA, Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, code qui a instauré une immigration choisie sur des critères économiques, entre autres ?, explique Nadir Dendoune.
Au c?ur de la foule, un jeune homme avec un drapeau européen. Pourquoi un tel drapeau ? ? Mon papa était un réfugié juif polonais, ma maman une réfugiée juive de Russie, j’ai trouvé que ce drapeau représentait bien mes origines telles que je les per?ois. Cela ne veut pas dire cependant que j’adhère à la politique telle qu’elle est menée aujourd’hui notamment par Baroso (le président de la Commission européenne, ndlr). Bien au contraire, la politique des frontières européenne me chagrine beaucoup, mais là, c’est le militant qui parle ?, témoigne Aleksander Glogowski, chargé de communication de 38 ans qui profite de sa pause déjeuner pour affirmer sa solidarité avec le mouvement.
C’est vers 14 heures que le rassemblement a pris fin. Nadir Dendoune se dit satisfait de la fa?on dont il s’est déroulé, même s’il est ? triste ? d’avoir d? en arriver là pour se faire entendre. ? L’aventure ne fait que commencer, veut croire Nadia Lamarkbi, nous espérons faire de cette journée un évènement annuel et européen. ?
Widad Kefti
Mario, le travail dans le sang
En 1981, Mario, 17 ans, arrive tout droit d’Egypte. Il loge chez son oncle à Nice, un homme aisé. Un jour, celui-ci lui ordonne de retourner en Egypte pour continuer ses études. Mais Mario décide plut?t de rejoindre ses amis de faculté installés à Paris. Il se rend compte qu’ils sont tous dans les milieux de la restauration et du batiment. Il commence un petit boulot de peintre en batiment mais cela ne lui pla?t pas. Il occupe ensuite, grace à un ami, un poste de commis barman. Et son avenir professionnel se trace petit à petit dans la restauration.
Il est ensuite aide cuisinier à la pizzeria Casa Nostra, Place d’Italie. Il y apprend le métier de cuisinier en restauration italienne. Il retourne en Egypte pour ses examens à la fac et revient à Paris pour cumuler les petits boulots. Une fois son dipl?me de lettres modernes en poche, il s’installe définitivement dans la capitale fran?aise. En 1994, il obtient la nationalité fran?aise et continue son activité dans la restauration. Il occupe le poste de pizzaiolo durant une dizaine d’année pour enfin être chef de cuisine et chef de rang.
Pas moins de trente-sept restaurants remplissent son curriculum vitae. Aujourd’hui, c’est à son tour d’être patron de restaurant italien. Il continue cependant à faire ses pizzas lui-même car ses mains le démangent et étant donné que son affaire n’a même pas un an, il ne peut se permettre d’avoir une armada d’employés. Il dispose néanmoins d’un chef cuisinier, et sa femme et sa fille l’aident en salle. Il a le travail dans le sang, une patience à toute épreuve et espère se sentir vraiment patron un jour, pouvoir superviser sans se tuer à la tache, et pourquoi pas ouvrir une voire plusieurs autres restaurants.
La journée sans immigrés d’hier s’est passée sans lui. Ce n’est pas l’envie qui lui manquait d’y participer, mais il ne peut se permettre de perdre une journée de revenus car il a un crédit à rembourser. Et ses clients fidèles seraient assez mécontents de voir leur resto du coin fermé.
Inès El Laboudy
Rachid : ? Ma vie est désormais ici ?
Rachid me re?oit chez lui au Mée-sur-Seine (77). Il est heureux de parler de sa réussite, qu’il estime due avant tout à ses efforts personnels. Né en 1955 à Alger, il décide de venir étudier le droit en France en 1977. Admis dans plusieurs universités de l’Hexagone, il pour Paris qu’il opte. S’ensuit un deug. Sans bourse ni aides, le jeune homme se décide à travailler en intérim, et jongle avec les cours du soir.
Mais le moment du choix s’impose, et l’heure n’est pas au luxe. Alors, Rachid se lance dans le monde du travail pendant cinq ans. Jusque-là, il était détenteur d’une carte de séjour étudiante, renouvelable tous les ans. Ces échéances annuelles l’inquiétaient. Sa carte serait-elle reconduite ? Il fait une pause dans son récit pour me parler du ? racisme omniprésent que subissaient les Maghrébins dans les années 70 ?. ? On ne pouvait pas riposter malgré la rage qui troue l’estomac, on avait peur de devoir repartir ?, raconte-t-il.
Rachid crée une première entreprise à Paris. Une première expérience pleine d’enseignements. Il comprend qu’il est fait pour le commerce. Il sent la bonne affaire, flaire le moment où il faut se retirer. En 2009, il en est à sa septième société dans le commerce des fruits et légumes. Il est ? content ? de participer à sa fa?on à ? l’économie de la France ?. ? Je travaille beaucoup, et en général ?a marche plut?t bien. C’est ma fa?on d’être utile. ?
Il est détenteur d’une carte de travail valable 10 ans. Il voudrait participer à la vie municipale, avoir le droit de vote au niveau communal, mais la chose est impossible sans naturalisation. Comme pour beaucoup d’immigrés de la première génération, la naturalisation fran?aise ne va pas de soi, même lorsqu’elle n’efface pas la nationalité d’origine : trop de souffrances rentrées, beaucoup de fierté aussi. Lui qui vit depuis 32 ans en France, avec sa femme et leurs trois enfants, aimerait s’investir plus dans la vie de la société.
? Ma vie est aujourd’hui ici, et j’en suis heureux. Je n’ai jamais envisagé le retour. Je suis redevable envers la France. Mon parcours est loin d’être idyllique, et il reste des paradoxes entre mes deux patries qui me tiraillent. Mais, je suis chanceux. Je n’ai pas, contrairement aux jeunes d’aujourd’hui, de problème d’identité entre plusieurs nations. ?
montres hublot
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